Ad orientem

20130111SMessa_612_zps8cdd511e« Face au peuple », « dos au peuple », « face à Dieu », « versus populum », « autel Vatican II », sont autant d’expressions familières relatives à la direction vers laquelle le prêtre célèbre la Sainte Messe, engendrant des discussions, débats, déménagements et problèmes mobiliers complexes dans nos églises. Mais d’où cela vient-il véritablement ? Quelle importance cela a-t-il ?

En réalité, cela vient de nulle part, et n’a aucune importance.

Tordons en tout premier lieu le cou à l’argument avancé par la majorité des catholiques défendant l’habitude prise après le Concile Vatican II, de placer l’autel entre le prêtre et les fidèles. Cet argument serait celui de la référence à la Sainte Cène, dernier repas pris par le Christ avec ses disciples, autour d’une table qui serait l’autel, donc. Mais cet argument est fallacieux, comme le rappelle le P. Louis Bouyer :

« L’idée qu’une célébration face au peuple ait pu être une célébration primitive, et en particulier celle de la Cène, n’a d’autre fondement qu’une conception erronée de ce que pouvait être un repas dans l’antiquité, qu’il fût chrétien ou non. Dans aucun repas du début de l’ère chrétienne, le président d’une assemblée de convives ne faisait face aux autres participants. Ils étaient tous assis, ou allongés, sur le côté convexe d’une table en forme de sigma, ou d’une table qui avait en gros la forme d’un fer à cheval. L’autre côté était toujours laissé libre pour le service. Donc nulle part, dans l’antiquité chrétienne, n’aurait pu survenir l’idée de se mettre « face au peuple » pour présider un repas. Le caractère communautaire du repas était accentué bien plutôt par la disposition contraire : le fait que tous les participants se trouvaient du même côté de la table. » — Louis Bouyer, cité par le Cardinal Joseph Ratzinger in L’Esprit de la liturgie, p. 66, traduit de l’allemand par Génia Catala avec la collaboration de Grégory Solari. 2001.

En outre, Ratzinger reproche à cette vision de « repas » de vouloir imiter la Sainte Cène, alors que l’Eucharistie doit en faire mémoire sans la rejouer au sens théâtral du terme, alors que l’autel est bien plus que celui de la Cène mais la continuation de l’autel du sacrifice juif :

« La position du prêtre tourné vers le peuple a fait de l’assemblée priante une communauté refermée sur elle-même. Celle-ci n’est plus ouverte vers le monde à venir, ni vers le Ciel. » (ibid., p. 68)

D’ailleurs, le Concile ne dit rien au sujet de l’orientation de la célébration, proposant simplement de placer les autels des cathédrales à la croisée du transept et de la nef pour le rapprocher des fidèles. Le fait de placer un autel « Vatican II » juste devant le maître autel dans les églises n’a d’une part rien à voir avec le concile éponyme, et de l’autre massacre souvent l’unité architecturale de l’église et surcharge le chœur, au détriment d’une liturgie belle et digne.

Il faudrait donc bien célébrer la Sainte Messe dos aux fidèles, comme dans la « Messe de toujours », alors ?

Que nenni ! Originellement, l’usage n’était pas non plus de célébrer dos au peuple. En réalité, la question de l’orientation du prêtre par rapport aux fidèles était absente du débat avant le XVIe siècle. La seule question était celle de l’Orientation, c’est-à-dire de la célébration vers l’Orient, le soleil levant, l’est, symbole dont la portée théologique et symbolique est considérable et dépasse le thème de cet article. À l’injonction Sursum corda, « Tournons-nous vers le Seigneur », l’on joignait alors le geste à la parole et l’on se tournait vers l’est, quelque soit la direction de l’autel. Dans les églises à plan basilical, souvent occidentées à l’instar Saint Pierre de Rome, le peuple se mettait d’ailleurs dans les transepts, laissant la nef libre pour les nombreuses processions liturgiques.

La célébration vers l’est est la seule véritable et originelle question qu’il faut se poser. Fort malheureusement, à l’inverse, une grande partie des prêtres célébrant dans la forme extraordinaire du rite romain se targue de célébrer « face à Dieu », ce qui est absurde, Dieu étant bien évidemment transcendant et omniprésent. Ils oublient souvent qu’un certain nombre d’églises sont en fait orientées vers l’ouest, et qu’ils célèbrent en réalité face au soleil couchant, contre-exemple absolu de la liturgie qu’ils se targuent pourtant d’observer scrupuleusement.

Le Cardinal Ratzinger, conscient des problèmes pratiques qu’un retour universel à la célébration vers l’Orient pourrait causer, suggère de concentrer nos efforts sur la croix qui, dans les deux rites, se doit d’être présente au milieu de l’autel, qui serait notre « est intérieur », permettant de concentrer notre regard et nos prières vers le Christ, « le point de référence », le « soleil levant de l’histoire ».

Mais si l’Essentiel est évidemment le Christ, l’orientation a tout de même une portée et une influence très importante dans la signification des rites de la Sainte Messe. Alors dimanche prochain, sortez votre smartphone, votre application boussole, et regardez dans quelle direction votre cœur oriente ses prières.

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